Les guerres du blé

Auteur : Alessandro Stanziani

Les guerres du blé1

De 1970 à nos jours

Course aux brevets, spéculations, dégradation de l’environnement contribuent, malgré la hausse de la production, à creuser les inégalités alimentaires et à causer des famines. Une partie des habitants ne mange pas à sa faim, une autre, tout aussi importante, souffre de pathologies liées à l’alimentation industrielle et une petite frange accède à une alimentation bio de qualité supérieure. Pourtant 10 % des denrées gaspillées suffiraient à faire face aux crises alimentaires. Les inégalités face à l’alimentation se sont accentuées du fait, principalement de quantités grandissantes de céréales destinées à l’élevage et aux agrocarburants alors que le reste est soumis des spéculations financières et commerciales sans précédent touchant la production réelle, virtuelle et les terres. Le dérèglement climatique menace, à terme, de détruire l’offre et d’accroître les spéculations. L’immigration est stoppée au nom de ressources limitées, les aides aux pays en développement est conditionnée à l’adoption de politiques budgétaires et démographiques restrictives, l’accaparement des terres exacerbe les rivalités.

2de guerre mondiale, guerre froide et décolonisation

L’Occident connaît une croissance agricole sans précédent fondée sur la mécanisation, la chimie et la génétique avec un impact dévastateur sur l’environnement du fait de déforestations, de fertilisants chimiques et d’usage intensif des sols.

Côté soviétique, anti-humanitarisme et disettes à répétition sont une arme redoutable pour écraser toute résistance intérieure. Ici, on exploite les sols jusqu’à épuisement.

Côté Occidental, l’aide humanitaire n’est réellement déployée que dans le cas de la confrontation entre communisme et capitalisme comme en Éthiopie ou en Inde. Sinon, elle rime avec déversement d’excédents dont les pays ne savent pas toujours quoi faire. Là, la génétique prend le pas sur l’occupation des terres et l’exploitation du travail, colonial ou pas et impose ses ses semences hybrides en Europe et dans les pays décolonisés.

1ère guerre mondiale et totalitarisme

Spéculations sur la production céréalière et sur la bourse des valeurs contribuent également à la crise de 1929.

Les États Unis dominent le monde grâce à leur industrie et leur contrôle mondial des céréales. La reconstruction de l’Europe se fait par une aide humanitaire qui permet stabilité géopolitique et conquête des marchés étrangers.

Pour les Russes, le blé finance la croissance industrielle qui s’appuie sur une exploitation extrême du travail et une restriction de la consommation à la limite de la subsistance.

L’Europe adopte des politiques de développement de leurs colonies en les aidant à se moderniser, début de la destruction des écosystèmes locaux.

Les Russes s’en prennent aux Ukrainiens, les Italiens aux Éthiopiens,Français et Anglais aux Africains et Indiens.

Blés durs et blés virtuels

Le XIX siècle est souvent représenté comme celui d’une grande transformation des économies et des sociétés occidentales sous le leadership du Royaume Uni. Dans le domaine de l’agriculture, la croissance repose sur l’intensification du travail dans un contexte où il n’existe aucun droit du travail. Pour éviter la décroissance de la production agricole les progrès techniques seront mis en œuvre pour favoriser la croissance au XX siècle, tandis qu’au XIX, la recherche de nouvelles terres s’imposera. En effet, les machines sont chères, les capitaux rares et le travail, privé de droits, peut aisément être exploité.

Chinois et Russes prennent possession des steppes d’Asie, les Russes s’emparent de l’Ukraine qui devient vite son grenier à blé et lui permet d’entrer dans la lutte pour la suprématie mondiale. Les Anglo-Américains font main basse sur les États Unis, le Canada et l’Australie qu’ils mettent en culture, exterminant, comme en Russie, les populations autochtones. Les Britanniques récoltent le blé sur tous les continents, l’importent de Russie et procèdent à des expérimentations désastreuses pour les écosystèmes et les équilibres socio-économiques en Afrique et en Inde, conduisant à des disettes coloniales.

Le destin des paysans et ouvriers européens est indissociable de celui des Ukrainiens, des populations nomades d’Asie centrale, d’Amérique et d’Australie dont le bas niveau des salaires pourrait s’expliquer par la globalisation de la céréale. Les salaires commencent à augmenter à partir des années 1870. L’expansion mondiale du blé sert à alimenter les échanges virtuels et les Bourses de commerce au tournant des XIX et XX siècle et à nourrir une classe ouvrière dont la croissance est rapide et dont les droits deviennent de plus en plus importants. Le blé mondialisé finance l’État providence et renforcera la destruction de la planète et les spéculations globales.

Géopolitique du blé au XIX siècle

Le XIX siècle a vu la révolution industrielle dans quelques pays, tandis qu’il a été le siècle de l’expansion sans précédent de la production de blé grâce à l’occupation des terres d’Eurasie, d’Amérique, d’Australie et d’Afrique allant de pair avec l’expropriation brutale et l’extermination des populations locales, la fin des pâturages libres et la mise en culture intensive des terres. Sa croissance s’explique surtout par une intensification du travail.

Dans ce contexte, la France mise sur son autosuffisance céréalière avant de se tourner vers ses colonies du Maghreb sans comparaison avec les plaines nord-américaines, l’Ukraine offre son grenier et l’accès à l’Europe via la Méditerranée à la Russie, tandis que la Chine n’a pas pu bénéficier de telles plaines céréalières.

La Chine commence à démanteler ses réserves agraires si importantes jusque là, la Russie maintient un contrôle étatique fort et des stocks jusqu’au dernier quart du XIX siècle, lui permettant de faire face aux fluctuations internationales du prix du blé. L’empire ottoman qui avait un système perfectionné de surveillance, gestion et régulation des marchés et des stocks de blé manque désormais d’information sur les productions et les réserves céréalières de plus en plus aux mains des marchands ou d’autorités locales. Ils importent de plus en plus de blé de la Russie via la Crimée. Il est l’objet de vagues spéculatives autour des marchés de céréales sans engager de politiques régulationnistes suffisamment cohérentes pour y faire face.

Création des États2

L’agriculture et plus particulièrement les cultures céréalières sont la matrice de la naissance étatique. En effet, seules les céréales permettent la concentration de la production, de l’appropriation, le prélèvement fiscal, la naissance de registre cadastraux, le stockage et le rationnement. Autant d’éléments qui président à la construction d’un État et auxquels n’étaient pas soumis les chasseurs-cueilleurs. 

C’est en Mésopotamie (« au milieu des fleuves » en grec), l’actuel Irak, car c’est là qu’apparaissent vers la fin du quatrième millénaire avant notre ère, les premiers États. La révolution agricole, celle des cultures et de la domestication, accompagne la création des villes et des cités-États indépendantes, parfois regroupées, de gré ou de force, en Royaume ou en Empire.

Création des marchés

Standardisation et facilité logistique, font du grain la première marchandise « liquide ». Une marchandise qui coule dans les wagons, les élévateurs, les silos, les rails, les canaux dans des machines qui le trient et le stockent. Une marchandise qui disparaît et circule sous sa forme abstraite, virtuellement via des reçus ou des câbles télégraphiques. 

L’État monarchique du XVIIIe avait réussi à mettre un terme aux grandes famines qui avaient ravagées les populations aux siècles précédents grâce à une politique constante d’intervention sur les marchés et la mise en place du stockage. Sous l’Ancien Régime, le marché est un lieu où se réunissent les acheteurs et vendeurs inscrits au greffe de commerce, régie par des règles et sous le regards d’agents de police. Sur ce marché le grain et la farine sont présents physiquement. La police à la liberté d’y faire respecter les lois dans l’intérêt général et au détriment de la liberté individuelle. 

Le marché, hier place où s’échangeait la marchandise physique, aujourd’hui lieu virtuel où s’ajuste le prix grâce aux lois de l’offre et de la demande, trouve son origine en France dans le tournant libéral de 1760. Car c’est au grain que les physiocrates, les partisans du laissez-faire vont s’attaquer en premier lieu, associant la liberté économiques, de la fixation des prix et libre circulation des marchandises, à la lutte contre la tyrannie. En 1763 et 1764 deux lois marquent une rupture brutale. La croissance supplante la sécurité. N’importe qui peut faire commerce sans contrôle. Le marché devient une doctrine, celle de la libre fixation des prix par l’offre et la demande non plus un lieu physique d’échange. Le « bon prix » du pain sera fixé librement. Tout ce qui était secret ou amoral (spéculation, monopole, stockage quand les prix montent, exportation pour profiter de meilleurs prix ailleurs) devient autorisé. Ces lois inaugurent une décennie de turbulence, culminant dans la guerre des farines (1775) qui succéda aux mauvaises récoltes de 1773 et 1774, et provoquèrent une hausse des prix et la chute du contrôleur général, Turgot, lecteur et inspirateur d’Adam Smith, qui mène la deuxième vague de libéralisation de 1776.

L’interconnexion des bourses entre elles opère l’ajustement du prix au niveau mondial et la déconnexion entre les prix et la production. Les prix, déterminés par les contrats à terme, soumis à la volatilité et aux manipulations, génèrent des pénuries peuvent succéder aux crises de surproduction, indépendamment des récoltes. 

Le reste du monde lui connaît des famines. L’Inde (8 à 10 millions de morts 1876 à 1879 puis dix millions de plus dix ans plus tard), la Chine (20 millions de morts sur la même période). Un million de morts au Brésil. La Grande famine mondiale de 1876 à 1878 qui touche aussi Colombie, Vénézuela, Indonésie, Vietnam, Philippine, Algérie, Maroc, Éthiopie aurait tué 3% de la population mondiale, si l’on compte les cascades de conséquences qu’elle entraîne comme les pandémies et les zoonoses comme la tuberculose bovine, conséquence d’un cheptel mal nourri. Pourtant, la croissance est exceptionnelle. Les USA et la Russie font croître leur surplus et les prix ne cessent de dégringoler. Mais, en pleine disette, les anglais continuent les exportations d’Inde et les français du Maghreb. Et parfois, une agriculture vivrière peut être incapable de rivaliser avec les importations russes ou américaines. 

1929

La grande euphorie spéculative qui débouchera sur la crise de 1929 appelle une réglementation politique que poussera Franklin Roosevelt à mettre en place le Glass StealAct de 1933 qui sépare les activités de dépôt et celle de financement et durera soixante ans. Les banques ne peuvent plus spéculer avec l’épargne. Sur le marché des matières premières, la législation essaie de limiter les prises de positions risquées par des acteurs extérieurs aux denrées qu’ils échangent via des plafond. Des limites qui seront repoussées à partir des années 1970 et totalement supprimée à la veille du millénaire suivant par l’administration Clinton. Historiquement les banques n’avaient pas le droit d’investir sur les marchés de matières premières agricoles. Mais les déréglementations des années 1980 (Reagonomics) et 1990 (années Clinton) vont leur ouvrir les portes au début des années 2000.

Et de fait dans la première décennie du XXIe les prix des céréales (blé, maïs, riz) accusent d’une augmentation de 150%. Moins de dix ans après la dérégulation promue par les Démocrates, des émeutes de la faim et des mouvements sociaux éclatent en 2008 dans une soixantaine de pays dont l’approvisionnement est lié au marché mondial et où la nourriture constitue un important un important poste de dépense. 

Encore une fois une partie de cette hausse est à chercher du côté des marchés. Après la crise de 2008, les taux d’intérêts de la FED frôlent le zéro. Les mesures d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) inondent le marché de liquidités. Cet afflux de monnaie, dont l’objectif premier est d’éteindre le feu de la crise financière va alors de nouveau servir aux spéculateurs. La création d’argent va alors inonder le marché des matières premières et le tirer à la hausse. 

2011

Les prix des céréales et du pétrole sont tirés par le haut. En mai, éclate les Printemps Arabes. On assiste à des émeutes de la faim.

Les études varient affirmant que la spéculation augmente les prix de 10 à 15% pour les céréales ou de 20 à 25% pour le pétrole (qui à lui même une incidence sur les céréales).

Aux USA, la loi Dodd-Frank Act de 2010, même si elle n’est pas aussi sévère que le Glass Steal act, est un début. Elle vient annuler l’absence de limite de position de 1999 qui permettait d’acheter n’importe qu’elle quantité. Le lobby bancaire, par l’intermédiaire du parti Républicain qui a conquis en octobre 2010 la majorité à la Chambre essaie de faire capoter la réforme bancaire.

Au G20 de Cannes en novembre 2011 les déclarations se multiplient contre la spéculation. Nicolas Sarkozy et Barack Obama semblent découvrir les marchés dérivés et leur incidence sur le monde réel. Mais en France, la Loi de séparation et de régulation des activités bancaires promise par Hollande est un leurre vidé de sa substance et face au lobby des grandes banques françaises et à l’absence de courage des socialistes celle-ci ne viendra ni séparer les activités de prêt de celles sur les marchés, ni taxer le trading à haute fréquence.

2020-2022

Découverte en mars 2017 à Irkoutsk près du lac Baïkal en Sibérie, la peste porcine africaine (PPA), détectée début août 2018 à Irkoutsk près du lac Baïkal n’est pas dangereuse pour l’homme mais la Le cheptel de 2017 comptait 441 millions de porcs. Les mesures d’abattages massifs concerneraient 31% du cheptel, d’autres sources parlent de 45%, autour de 102 millions de bêtes.Les abattages chinois représenteraient huit fois la production française de porcs. Fin novembre la PPA est aux portes de Pékin. En janvier 2019 elle se répand à onze pays voisins. 

La Chine est le plus gros producteur mondial avec un peu moins de la moitié de la production. En septembre 2019 les prix ont déjà augmenté de 9,5% sur son marché intérieur. La baisse de la demande en soja est de 8%. À mesure que les prix de la viande explose, ceux des céréales chutent. 

En mars 2020, 2 000 cochons prennent l’avion depuis l’aéroport de Brest pour rejoindre la Chine. Les chinois mangent du cochon breton, le lobby est aux anges. Mais à partir de septembre 2020 les portes vont se refermer progressivement. La Chine reconstitue son cheptel. Elle accélère la construction de gigantesque fermes usines, véritables immeubles de 9 à 10 étages avec un millier de porcs par pallier. Certaines fermes peuvent concentrer jusqu’à 36.000 truies3. Ces conditions et le type d’élevage font monter le risque d’épidémies (promiscuité, claustration, faible diversité génétique, gigantisme). La situation est donc totalement instable pour les marchés qui continuent de s’envoler. Le prix du maïs s’affole.

En parallèle une autre pandémie paralyse les activités humaines. Les différents variants du Sars- Cov 2, l’attente d’un vaccin, de la fin des confinements déstabilisent les marchés.

Guerre et peste

Alors que les prix, tirés par la relance chinoise, sont déjà haut, la Russie envahit l’Ukraine le 24 février 2022. Pour les marchés la situation s’aggrave encore. Le grenier à blé de l’Europe (un tiers du blé et 20% du maïs mondial) est perturbé. Probablement que l’envahisseur, premier producteur de blé et troisième de pétrole, devra faire face à un nouveau train de sanctions. Les investisseurs vont saisir l’occasion. Immédiatement après le déclenchement de la guerre, les fonds indiciels (ETF) liées aux matières premières reçoivent un afflux d’investissements.

À la fin de l’année 2022, Cargill est à +141% de bénéfices sur l’année, ses meilleurs revenus depuis sa création il y a 157 ans. Cargill, c’est le C du quartet ABCD, les quatre entreprises qui détiennent le commerce mondiale de matières agricoles. Ses concurrents eux aussi annoncent des chiffres records. Archer, le A, annonce un « tournant majeur » et ses bénéfices les plus importants depuis 120 ans. Bunge c’est +738% sur la pandémie et +1421% sur la guerre..

Les négociants en matières énergétiques multiplient par deux ou par trois de leurs chiffres d’affaires. Glencore, champion toute catégorie, poussé par la demande en charbon, plastronne à 661% de hausse. 

La plupart des sociétés de négoces sont Suisses, ou domiciliés en Suisse. Dans le top dix des sociétés helvétiques qui génèrent le plus gros chiffre d’affaire on retrouve six sociétés de négoces. Alors qu’elles ne constituent que 0,1% des entreprises Suisse, celle-ci représentent jusqu’à 8% du PIB national. Selon l’ONG Public Eye, 50% du commerce mondial de céréales et de café, 40% du commerce de charbon et un tiers du commerce de pétrole et de cacao, transite par des entreprises helvète. Mais la marchandise circule virtuellement sur le territoire, jamais physiquement. 

Les planteurs de l’Illinois et d’Inde avaient commencé à planter pour profiter de la hausse des prix dès la reprise de l’activité chinoise (donc début 2021). Poutine finance sa guerre avec le blé, et agite la menace de famines alors que « rien ne justifiait des prix aussi élevés, sinon une spéculation frénétique » d’après les experts du rapport Cyclope, pour qui «les prix sont déconnectés des fondamentaux ».

Délit d’initié

90% du marché des céréales transite par l’intermédiaire des 4 sociétés ABCD qui, en plus de leur activité commerciale, participent à la chaîne céréalière de A à Z : semence, production, transport, stockage, vente. Elles détiennent donc des informations qui peuvent perturber l’approvisionnement, par exemple sur des mauvaises récoltes ou des problèmes de transports et avec la financiarisation des produits agricoles, elles détiennent les portefeuilles d’investisseurs et peuvent agir en fonction des informations qu’elles détiennent, sur les marchés. En clair, le marché dérivé agricole, est quasiment le seul marché, où la pratique illégale du délité d’initié est autorisé.

Quand les prix montent, les ABCD prétendent que les milliards de dollars de dérivés leur servent à « se couvrir ». Mais comme elles ne communiquent pas leurs chiffres par segment d’activités (commerciale et financière) il est impossible de savoir ce qui relève de la spéculation et de la couverture tant les activités sont imbriquées. Les bénéfices sont exceptionnels, et les négociants profitent à la fois de la vente du grain et de l’affolement des marchés qu’elles provoquent intentionnellement en passant des ordres d’achat et de vente pour manipuler le marché et soutenir les prix.

Famine et surproduction : les deux faces d’une même pièce 

Au niveau mondial, la récolte 2022/2023 devrait battre tous les records avec 763 millions de tonnes. La récolte de blé ukrainienne ne baisse que de 5 % malgré les combats et le bombardements, les moissons russe et australienne sont exceptionnelles, celle en Europe correcte. Le blé passe sous la barre des 300 euros la tonne, bien loin des niveau stratosphérique de mi-mai (438 euros la tonne). Ça reste toujours 20% à 30% plus élevé qu’avant les confinements et la guerre. 

Pourtant, le directeur du Programme Alimentaire mondial, alerte sur la multiplication des risques de famines. Après le Yémen, l’Éthiopie, le Nigéria et le Soudan, la liste s’allonge avec la Somalie et l’Afghanistan.

Sur les 87 navires partis des ports ukrainiens, seuls 2 navires (3%) étaient à destinations de pays du Programme alimentaire mondial pour l’Afrique. Le reste part en Asie et en Occident, principalement pour nourrir le cheptel et d’autre part. Les exportations russes depuis Sebastopol sont multipliées mystérieusement par quinze sur l’année 2022 par rapport au chiffres de 2014, depuis son annexion. Le Liban « la Suisse du Moyen-Orient » compte désormais 78% de pauvres, et un tiers des libanais sont dans une extrême précarité avec une inflation alimentaire à 2 000%, le pays est désormais sur la liste de la FAO où la famine menace. Les stocks de blé, qui permettaient de réguler les prix, avaient été soufflés en aout 2020 avec l’explosion de nitrate d’ammonium sur le port. Le Pérou à de quoi nourrir sa population et est une puissance exportatrice. À Lima « les étals regorgent de tout ce qu’offre le Pérou en produits frais : fruits exotiques, légumes en tout genre, volaille par milliers, et des allées entières où s’étalent la diversité de poissons. Une profusion d’aliments qui s’accorde mal en apparence avec le retour de la faim ». Il passe désormais devant le Vénézuela en terme d’insécurité alimentaire. 

La fuite en avant de l’agro-industrie 

Au moment du déclenchement de la guerre, la France assure la présidence tournante du conseil de l’UE, ce qui lui permet d’aligner ses intérêts de puissance exportatrice au niveau des 27 à la demande de Christiane Lambert présidente de la FNSEA en France et la COPA-COGECA, le regroupement des syndicats agricoles et des coopératives, qui relaie les propositions de la France en Europe grâce au Ministre de l’agriculture Julien Denormandie. Elle attaque la stratégie Farm to Fork qui fixait comme objectif une baisse de 50% de l’usage des pesticides, l’exploitation d’un quart des surfaces agricoles en agriculture biologique d’ici 2030 ainsi que la mise en jachère de 4% de terres depuis des mois.

Quand les cours étaient bas il fallait produire plus pour éviter la ruine. Quand ils s’envolent, il faut produire plus rafler la mise. La guerre en une Ukraine et son impératif de souveraineté est une aubaine. Les lobbys agricoles et de la chimie jouent les cassandres avec les risques de pénurie, de famine et de hausse des prix. Pourtant ce qui motive l’agro-industrie à produire plus, la hausse des cours, est précisément ce qui entrave l’accès des plus pauvres à la nourriture. Comme on l’a vu les fluctuations économiques ne reflètent en rien la disponibilité réelle des ressources. 

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Méga-ferme de 2000 bovins dans le Limousin : l’agro-industrie profite du déclin des paysans – Basta!4

Le 22 mai 2025 Basta-mag complète : « le préfet de la Haute-Vienne annonce valider le projet de ferme-usine de 2120 bovins porté par le groupe Carnivor à Peyrilhac. »

Selon Basta-mag, « Aux côtés du groupe Bigard qui détient le monopole sur la façade ouest du pays, le groupe T’Rhéa est en train de s’implanter sur tout le quart sud-ouest. « Pour l’instant, T’Rhéa paie rubis sur ongles les ovins et les bovins aux éleveurs », note l’éleveur Sylvain Tilleul. « Mais quand l’entreprise aura la main sur tout ce qui est vendu et fera main basse sur toutes les parts de marché, le groupe fixera les prix et margera. Le danger n’est pas immédiat mais dans quelques années. C’est une bombe à retardement. »

Les fonds spéculatifs s’attaquent à l’agriculture5

Le 13 mai 2019, Basta-mag annonce « Après avoir provoqué la crise financière, les fonds spéculatifs commencent à s’intéresser au foncier…..L’ONG Grain (pour Genetic Resources Action International), basée à Barcelone, a ainsi mis en place une veille mondiale quotidienne et un blog recensant les articles de presse publiés sur ce sujet. »

Alors que mi-septembre 2008, le directeur général de la FAO, le Sénégalais Jacques Diouf a annoncé que 920 millions de personnes souffraient de la faim contre 850 millions avant la flambée des prix, gouvernements, grandes entreprises et fonds spéculatifs n’ont pas les mêmes objectifs. Les premiers – Chine, Corée du Sud, Japon, Inde, Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis, pour les principaux – souhaitent assurer une sécurité alimentaire pour leur population en se lançant dans la production céréalière et de viande plutôt que de recourir aux importations dépendantes des fluctuations des cours mondiaux. Les multinationales et les fonds spéculatifs, crise financière aidant, ont déserté les marchés dérivés pour se tourner vers ce nouvel eldorado. « Dans de nombreux endroits du monde, les prix alimentaires sont élevés et les prix des terres faibles, explique l’ONG Grain. On peut donc clairement gagner de l’argent en prenant le contrôle des meilleurs sols, proches des ressources en eaux. » L’horizon de placement est de 10 ans en moyenne avec bien sûr l’obligation d’exploiter les terres et de construire les silos et les routes nécessaires à l’exportation des récoltes. Les retours sur investissements sont évalués entre 10 et 40 % par an pour les fermes situées en Europe et peuvent atteindre 400 % en Afrique.

1Alessandro Stanziani

2https://blogs.mediapart.fr/antoine-costa/blog/250124/sur-la-financiarisation-des-cereales

3https://www.3trois3.com/articles/yangxiang-lelevage-a-9-etages_14038/#img-8

4https://basta.media/Mega-ferme-2000-bovins-Limousin-quand-agro-industrie-TRhea-Carnivor-profite-declin-paysans

5https://basta.media/les-fonds-speculatifs-s-attaquent-a-l-agriculture